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2015, l'Elysée de l'espace



Pim, pam, pouf ! Vous voilà le 8 mai 2015. Confidence pour confidence, ce jour là, la présidente Aubry aurait souhaité célébrer le troisième anniversaire de son mandat plus discrètement. C'est une femme sérieuse après tout.

Mais, à 2,5 % d'opinions favorables dans les sondages, il faut prendre le taureau par les cornes. Car on sent comme une crispation dans les profondeurs du pays de France. Les manifestations d'opposants en tous genres, tenus à solide distance du palais présidentiel par trois détachements de la garde républicaine, ne sont pas ce qui incommode le plus notre chefe d'Etat : à la télé, on ne les entend pas. Non, ce qui la contrarie vraiment, c'est de devoir parler encore et toujours de "rigueur" dans la conférence de presse annuelle qu'elle a imprudemment instituée lors de son élection.

Aussi, pour égayer l'opinion et faire événement, comme dit à tout bout de champ Edward Mausser, le conseiller en com' qui lui a soufflé l'idée, Martine a décidé d'embarquer à Kourou dans une navette spatiale d'occasion rachetée aux Américains. Cette année, elle commémorera sa victoire dans l'espace ; pas de journalistes ni de questions redondantes.

Et longue vie à la présidence géo-stationnaire !



2015, l'Elysée de l'espace
Dès le départ, cette mandature était mal engagée. Ségolène lui avait hargneusement barboté 5,2 % et Eva 11,7%, au premier tour des présidentielles. Quelles garces ! Martine avait dû jurer à plusieurs reprises qu'elle n'augmenterait que les impôts des plus riches. Une promesse intenable. Tout cela pour coiffer sur le poteau Sarkozy et gagner l'élection avec 42.000 misérables voix d'avance, la victoire la plus étriquée de l'histoire politique française.

Puis vinrent les législatives et les 97 députés Verts et communistes, indispensables à la majorité parlementaire, qui avaient immédiatement harcelé le gouvernement Lamy, un homme-lige installé à Matignon faute de pouvoir faire confiance à quiconque. Ce pauvre Lamy avait serré les dents pendant deux ans, puis il avait dû démissionner quand la police s'était montrée impuissante à empêcher le pillage des hypermarchés et la crise alimentaire qui avait suivi. Les opposants étaient déchaînés et, pour tenter de les mater, Martine avait promu en ses lieu et place Benoît Hamon qui jeta aussitôt de l'huile sur le feu.

Le deuxième "plan de justice fiscale et de solidarité nationale" en deux ans avaient amputé le revenu d'à-peu près tout le monde mais il ne suffisait ni à ralentir la dérive des finances publiques ni à rassurer tous ces requins de la bourse avec qui il fallait hélas composer. Hamon les avait menacés un jour d'interdiction de sortie du territoire et le lendemain de déchéance de la nationalité française. Il était partisan de la stratégie de la tension, une expression qu'il affectionnait. Mais Jacques, le père de Martine, était résolument contre. Des indiscrétions, ces créatures légendaires du monde médiatique, avaient rapporté les propos paternels sur les dangers des "nouveaux gardes roses". Sa fille devait durer, durer à tout prix et éviter la crise de régime qui l'emporterait fatalement. On n'est pas au pouvoir et dans l'opposition en même temps, diantre. Ne sachant comment changer les humeurs populaires, Martine, à qui tout le monde reprochait ses allures revêches, avait finalement accepté le coup de poker médiatique imaginé par Mausser.

Lancée de Kourou, sa navette atteindrait les meilleures performances d'antan : altitude opérationnelle de 185 à 1.000 kilomètres et vitesse typique de 28.000 km.h, de quoi en remontrer aux sceptiques. Le danger était très réduit, moins d'une chance sur 100.000 d'y laisser sa peau, sachant que les deux accidents californiens de 1986 et 2003 étaient dus à des errements bureaucratiques et que la navette conservée par la NASA avait connu un grand nombre de visites d'inspection.

Le projet était simple : c'est en survolant la France que la chefe de l'Etat délivrerait son message sur le retour de notre vieux pays dans le concert des nations entreprenantes. La solution, c'est la recherche, l'espace, de nouvelles conquêtes mentales et physiques. "Voir plus haut, voir plus loin : la France revient" : quel joli slogan tout de même que celui trouvé par Mausser ! Il n'était pas si mal, après tout, ce garçon. Des internautes sélectionnés pourraient poser en direct leurs question à Martine. C'était une chance que les Américains aient décidé d'arrêter l'exploitation de cette merveille de technologie en 2010. Aux écologistes qui avaient renâclé sur les ergols utilisés comme combustibles et déversés en gros bouillons fumigènes dans l'atmosphère, il fut astucieusement objecté que, grâce à une caméra spéciale embarquée, une localisation des bancs de thons rouges permettrait de mieux protéger cette espèce menacée.

Cinq, quatre, trois, deux, un, zéro, partez ! Notre présidente file vers l'azur, verticalement digne. La foule des Guyanais ovationne celle qui vient d'annoncer, pour obtenir la levée du blocus de la base aérienne organisé par l'union locale CGT durant deux mois, le financement par l'Etat de tous les I-Pods et I-Pads des habitants des villages de la brousse, afin de mettre fin à leur sentiment d'isolement. A Paris, le premier ministre Hamon peine à sourire, exclus de cette magnifique aventure. Martine n'a pris à son bord que la benjamine et le vétéran du gouvernement, respectivement secrétaire d'Etat au tourisme et ministre des Dom-Tom, ça tombait bien. Le gouvernement est comme tous les Français qui regardent le décollage sur un écran, en 3 D s'ils ont de la chance. C'est cela la démocratie.

Il ne faut que quelques heures au vaisseau présidentiel pour atteindre le point de presse géostationnaire, à 350 kilomètres au-dessus de Lille. Martine entame son allocution : cette opération n'est pas un symbole mais un acte politique au sens fort du terme, elle n'a pas coûté cher car la navette était bradée et les installations de Kourou largement amorties, le monde entier sait désormais que la France a retrouvé ambition et goût du risque, les chômeurs de métropole se verront offrir la possibilité de s'installer en Guyane pour y promouvoir le tourisme spatial, etc. Au sol et jusqu'au gouvernement, les plaisantins, hier encore majoritaires, se font discrets. L'opinion, sondée en direct, pense que cette idée était géniale. Non, le mot n'est pas exagéré.

Obama a envoyé un message de félicitation et on raconte qu'il a tancé ses conseillers en com', incapables de penser avec une telle témérité, embourgeoisés qu'ils sont dans leurs villas de Washington. Martine est aux anges et, ma foi, c'est vrai que la Terre est belle vue de si haut. Cela valait le coup de se faire élire. Dommage qu'elle ait refusé de rester plus longtemps en orbite, elle trouve dans l'espace quelque chose d'apaisant, une sérénité qui pourrait faciliter sa reconquête de l'opinion.

Bon, ce n'est pas tout ça mais il va falloir entamer le retour sur Terre, protégé par un bouclier thermique dont la vente aux enchères doit rembourser une partie de cette sidérale aventure. Martine se cale dans son fauteuil et regarde affectueusement Edward Mausser, qui déjà rêve de Mars -la planète- et de réélection triomphale pour sa patronne en 2017. Le pourcentage d'opinions positives, immédiatement calculé, est remonté à 9, 5. C'est une progression énorme ! En quelques heures ! Peut-être Mausser ferait-il un bon premier ministre après tout ?

Lundi 31 Mai 2010
Serge Federbusch





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