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Français, prêts pour votre prochaine révolution ? L'interview de Serge Federbusch pour le Figaro




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Français, prêts pour votre prochaine révolution ? L'interview de Serge Federbusch pour le Figaro
LE FIGARO: En quoi la France de 2014 vous paraît présenter des analogies avec les cas d'effondrement par désagrégation interne que la France a connus?

S.F. : Les analogies sont nombreuses. Le déficit et la dette publics représentent à peu près les mêmes masses financières, par rapport à la richesse du pays, qu'en 1788. La crise budgétaire est ouverte et rien ne semble pouvoir l'enrayer. Le gouvernement a perdu sa souveraineté, son autonomie, en matière de politique monétaire et financière. En 1788, on subissait encore la conséquence de la banqueroute de Law, près de 70 ans plus tôt. Calonne, qui s'était essayé à manipuler le titrage en or des louis et ducats, avait été accusé de fraude, presque de crime contre le bien public. De nos jours, l'Etat est dépendant des décisions de Bruxelles et de la Banque centrale européenne. Hier comme aujourd'hui, la perte de crédit et de prestige du souverain et de son gouvernement sont considérables. L'affaire du collier de la reine avait beaucoup miné l'autorité royale. Quantité de libellistes écrivaient sous le manteau des textes d'une hostilité farouche au roi et à la reine. De même, aujourd'hui, nombre de blogueurs critiquent le pouvoir. Les journalistes ne sont plus ni écoutés ni respectés, mais au contraire pris à partie. La frustration générale de l'opinion, la montée du chômage, la stagnation du pouvoir d'achat par habitant depuis bientôt dix ans se constatent aux deux époques. Comme en 1788, le pouvoir n'est plus obéi ni respecté. La paralysie de l'Etat s'aggrave de mois en mois. Il n'est même plus capable de régler une question aussi secondaire que celle des portiques écotaxe. Le système centralisé, clientéliste et corporatiste a vécu, en 2014 comme en 1788. Reste à savoir d'où viendra l'étincelle. Je pense que ce sera la crise de l'euro ou une dissolution ratée, ou encore les deux à la fois, qui rendront le pays ingouvernable.


Le Figaro : La France, écrivez-vous, a «cherché à tirer parti des avantages de la 3e révolution industrielle (…) sans en payer le prix»: en quoi?

S.F. : Depuis plus de trente ans, les Français sont atteints de schizophrénie. Comme consommateurs, ils bénéficient de la baisse du prix de nombreux biens et services grâce à ce qu'on nomme «mondialisation». Comme producteurs, nombre d'entre eux ont vu leurs emplois disparaître ou leurs salaires stagner du fait de la concurrence internationale. Jusqu'à présent, la France a plus ou moins réussi à avoir le beurre et l'argent du beurre. Le développement de l'emploi public et de la dette a permis à une large majorité de la population de bénéficier de cette situation davantage qu'elle n'en souffrait. Mais aujourd'hui, il faudrait commencer à rembourser. Et le système ne tient que parce que les prêteurs pensent que, derrière la France, il y a la discipline germanique qui nous protège. Mais c'est un baril de poudre près d'un brasier.


Le Figaro : Vous n'êtes pas tendre pour la haute fonction publique, vous qui avez fait l'Ena…

S.F. : La France souffre d'une boursouflure du système politico-administratif français dans ses rapports avec les corporations. Le noyau du système dirigeant est une sorte de duopole qui comprend élus à vie et hauts fonctionnaires. Ils s'appuient sur une administration dilatée et gouvernent par des accords avec les corporations et les cadres des grandes entreprises. Mais les dirigeants de ces deux dernières sont plus solidement installés que les politiciens, ce qui finit par fragiliser l'Etat. On retrouve ici un trait commun à tous les régimes français depuis plus de deux siècles: il est difficile de concilier gouvernement centralisé, régime économique libéral et parlementarisme de circonscriptions. S'y substitue donc un dialogue direct entre pouvoir exécutif et corporations qui finit par être paralysant car il n'existe pas d'arbitre légitime à leurs inévitables désaccords. C'est ce qui explique, au fond, les déboires actuels de Hollande qui affronte le stade terminal de cette évolution délétère.


Le Figaro : Bruxelles: bouc émissaire de nos difficultés ou vrai coupable?

S.F. : Les deux, forcément! L'Etat s'est servi du prétexte européen pour tenter de résister à certaines pressions corporatistes et a trouvé des subventions allemandes repeintes aux couleurs de l'Europe pour faciliter les délicates mutations du monde rural français. Par la suite, le marché financier européen a permis d'obtenir des financements plus abondants et de s'endetter à moindre coût. Mais le prix à payer était la monnaie unique. Sinon les marchés auraient continué à attaquer le franc, la peseta et le lire en faisant monter le mark. Aujourd'hui, l'euro agit comme un noeud coulant autour de l'économie française. Toute réforme de structure «vertueuse» est rendue vaine par la montée du taux de change de l'euro qu'elle entraîne. En effet, les marchés en espèrent un redressement budgétaire dans la zone euro, qui contraste avec la situation américaine, anglaise ou japonaise. Nous sommes entrés dans l'euro avec un taux de change du franc surévalué. Les Allemands, qui d'ailleurs jouent des délocalisations en Europe de l'Est pour améliorer leur compétitivité, ont pu dès le départ accroître la productivité de leur industrie. Depuis plus de dix ans, ils progressent surtout aux dépens des économies sud européennes, notamment celle de la France. Cette situation est perverse et sans issue.

Le figaro : Vous imaginez trois scénarios pour l'avenir proche. Le premier: Hollande est un nouveau Louis XVI. Que pourrait-il se passer?


S.F. : C'est un scénario tout à fait plausible. Face à l'échec quasi assuré des mesures de redressement budgétaire, entre autre en raison de la persistance d'un euro surévalué qui déprime l'activité, Hollande, tôt ou tard, sera sommé de mettre en oeuvre de vraies mesures d'austérité. Il ne le voudra ni ne le pourra car un nombre croissant de députés socialistes préfèreront «tomber à gauche», comme on disait sous la Quatrième République. Du reste, Hollande se dira que sa seule chance d'être réélu est une cohabitation. Comme le niveau atteint par le Front national conduira à de nombreuses triangulaires, la victoire de l'UMP sera étriquée. Si la droite est maligne d'ailleurs, elle refusera de constituer un gouvernement tant qu'Hollande n'aura pas démissionné. Bref, on sera en pleine crise de régime avec un budget en capilotade. Rien ne s'opposera plus à une remontée des taux d'intérêt et une spirale de troubles politiques, économiques et sociaux. Les prétextes à une explosion ne manqueront pas: regardez déjà du côté de la SNCF, des banlieues ou des intermittents.


Le Figaro : Rêvons un peu: un de Gaulle se présente. Quelle feuille de route lui donnez-vous?

S.F. : Terminer ce qui a été commencé en 1958 et 1962 avec les moyens nouveaux dont dispose la démocratie. S'appuyer sur un recours régulier au référendum, diminuer drastiquement le nombre d'élus et surtout empêcher que quelqu'un vive toute sa vie de politique. Réformer la chose publique pour réduire le poids de l'Etat, libéraliser au maximum le fonctionnement de l'économie et, dans l'immédiat, taper du poing sur la table pour que l'euro se déprécie d'au moins 40 % faute de quoi tout ceci ne sera pas possible. Si nos partenaires refusent, il faudra quitter l'euro, quelle qu'en soit la difficulté. C'est une question de survie. Ou alors, préparez-vous à la guerre civile: je ne pense pas que Marine Le Pen soit en mesure de faire face à cette situation avec un programme inspiré de celui du parti communiste des années 1970 et alors qu'une part très importante de la population est prête à l'affronter durement.


Le Figaro : Le scénario catastrophe: un régime autoritaire, fût-il éclairé, à savoir un nouveau Napoléon III. En quoi cette hypothèse n'est pas à exclure?

S.F. : La nature politique a horreur du vide. Il faut bien que la société fonctionne et les esprits me semblent d'ailleurs, aujourd'hui, étrangement en attente d'une reprise en main ferme par le pouvoir. Ce n'est pas étranger au succès qu'avait connu Sarkozy en 2007. La France est restée frustrée de ce candidat dont le mandat semble avoir bifurqué, un quart d'heure et cinquante mètres de marche après son élection, d'une procession gaullienne sur les Champs Elysées à un pot entre amis au Fouquet's.

Lire dans le Figaro ICI.

Dimanche 22 Juin 2014
Serge Federbusch






1.Posté par Jean-Pierre le 22/06/2014 18:13
Si vous donnez une feuille de route à De Gaulle , lui qui avait rendu l'Algérie aux Algériens en 1962, lui demanderiez vous de rendre les Algériens à l'Algérie en 2014 ?
(en s'appuyant sur un recours régulier au référendum, naturellement)
Question volontairement provocatrice.

L'immigration n'est évidemment pas le seul ni le premier problème de la France, mais pour poser la question de manière douce et l'élargir, que ferait De Gaulle ou un "vrai gaulliste" avec l'immigration qui transforme à grands pas l'identité de la France, principalement avec l'avènement de communautés musulmanes ennemies du christianisme (culture historique de la France, c'est indéniable) ?

En 1950, il ne devait guère y avoir que quelques centaines de mille de musulmans en métropole, et aujourd'hui il y en a entre 5 et 6 millions. Sachant que 200 000 personnes immigrent régulièrement chaque année dont beaucoup de musulmans, que l'immigration clandestine / irrégulière explose en Europe et notamment depuis de pays musulmans, nous pourrons certainement atteindre rapidement 10 000 000 de musulmans. La culture française a du mal à intégrer ces populations, et vice et versa ces populations ont du mal à s'intégrer, quelles qu'en soient les causes.

De Gaulle-bis doit-t-il mettre un terme à ce changement fondamental de l'identité de la France, ou l'accepter voire l'encourager comme le fait Hollande et sa fine équipe, au nom de la morale laïque socialiste qui veut que ce qui est mauvais pour la culture chrétienne est bon pour la République socialiste.

A votre avis ?

ps. Je me permets de poser cette question en marge du principal débat sur notre prochaine révolution qui est économique, et finalement relativement simple : à lire SF, on connait les grandes réformes qui pourraient naître d'une révolution.
Pour l'identité de la France, ce n'est pas très clair, à l'inverse. Et c'est à mon sens aussi important.

2.Posté par Bernard le 29/12/2014 16:27
Je rejoins tout à fait Jean-Pierre. Dans son analyse de la situation qui conduit la France et l'Europe - on est bien d'accord là-dessus - à la catastrophe, S.F. élude une dimension qui me semble pourtant fondamentale: la crise identitaire et civilisationnelle que nous traversons, et qui se révèle au moins tout aussi grave que les crises économique et politique sinon davantage. Jean-Pierre en a bien résumé l'essentiel.
Ce qui est sidérant, c'est de voir à quel point les intellectuels, les journalistes, les chroniqueurs, les politiques et j'en passe, à de rares exceptions près, ont peur d'aborder ce sujet hautement tabou, qui interpelle tout le monde mais dont personne ne parle. La "dictature" du politiquement correct...encore et toujours...jusqu'à quand?
Certains prétendent que si le chômage baissait et l'économie se redressait, tout irait mieux, que le reste n'est que fantasme, peur, etc...grave erreur: certes l'aspect économique, l'emploi, le pouvoir d'achat et la dégradation des conditions de vie ont leur importance, mais il faut cesser de croire que l'Homme n'est qu'un consommateur au sein d'un supermarché planétaire (vive l'écologie dans tout cela!), un "citoyen du monde" déraciné et déculturé, même si c'est ce que veulent en faire la finance internationale, les multinationales, et les gouvernements qui leur sont soumis. Je suis né en 1984..."1984" de Georges Orwell à relire...

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