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Philosopolis



Pour tenter d'élever le débat, Daniel, un fidèle lecteur, nous a adressé un texte qui, de La Boétie à Héraclite, donne à réfléchir sur la crise de la raison démocratique que nous traversons.



Philosopolis
Quelques réflexions – Nihil novus ...

Les peuples des nations industrialisées sont désormais acquis à un mode de gouvernance dite démocratique dans lequel le renouvellement périodique des gouvernements est légitimé par des élections au motif que les élus sont tenus de respecter la « volonté du peuple ».

Toutefois, Les similitudes entre démocratie et tyrannie étaient déjà notées par Aristote (in Pol., III, 13,1284 a 26 s) : « En abaissant et neutralisant, par l’exil, ceux des citoyens qui s’élèvent au dessus des autres, la démocratie procède de la même façon que la tyrannie. Le tyran et les démocrates veulent une égalisation sociale, où nul ne dépasse les autres en pouvoir, en prestige, en autorité, les démocrates pour qu’il n’y ait aucun tyran (ou monarque), le tyran pour qu’il n’y en ait qu’un ».

Confronté actuellement aux dérives, ou plutôt à l’essence même de la démocratie française (cf. François Furet in La révolution Française), il est difficile de ne pas songer à ce qu’écrivait La Boétie dans son « Discours de la Servitude Volontaire » (ed. Mille.et.une.nuits – 1995), car j’y trouve bien des points communs entre nos démocraties et la tyrannie et je ne saurais trop conseiller de lire cet opuscule de 50 pages tellement lucide qu’on peine à le croire écrit par un homme de 18 ans !

Le secret de la tyrannie est donc le suivant : le tyran s’entoure de 5 ou 6 complices, lesquels en ont six cents sous eux. « Ces six cents en tiennent sous leur dépendance six mille, qu’ils élèvent en dignité. Iles leur font donner le gouvernement des provinces ou le maniement des deniers ... Grande est la série de ceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil verra que non pas six mille, mais cent mille et des millions tiennent au tyran par cette chaine ininterrompue qui les soude et les attache à lui ... De là venait l’accroissement du pouvoir du sénat sous Jules César, l’établissement de nouvelles fonctions, non certes pour réorganiser la justice, mais pour donner de nouveaux soutiens à la tyrannie. En somme, par les gains et les faveurs qu’on reçoit des tyrans, on en arrive à ce point qu’ils se trouvent presqu’aussi nombreux, ceux auxquels la tyrannie profite, que ceux auxquels la liberté plairait ».

J’ajoute : aujourd’hui les premiers sont plus nombreux que les seconds.

Ce qui se donne aujourd’hui en France comme un gouvernement de justice sociale correspond presque mot pour mot à cette description ; ce n’est qu’une cynique version de cupidité camouflée en morale et n’apporte rien de nouveau sous le soleil de la nature humaine. Et, si nous voulons rester dans l’arithmétique, nous pouvons examiner également l’usage philosophique que fait Héraclite des nombres dans sa critique de la démocratie.

« Un : pour moi dix mille, s’il est meilleur » (Fragment 38 in traduction et commentaires de Marcel Conche – Héraclite-Fragments, PUF 1986).
Voilà le commentaire de Marcel Conche : « Contrairement au principe de la décision démocratique d’après lequel une somme de jugements exprimant des intérêts particuliers
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équivaudrait à un jugement correspondant à l’intérêt universel, pour Héraclite, dix mille jugements ou suffrages d’hommes ordinaires ne sont rien par rapport au jugement d’un seul homme politique éclairé ; et l’on ne doit pas écrire : 10 000 = 1, mais 10 000 = 0. ... car les « nombreux sont mauvais et ce n’est pas 10 000 « mauvais » qui peuvent faire un « bon » ou un « meilleur » ; ils représentent au contraire une valeur négative ».

Enfin, comment ne pas songer aussi aux réflexions d’Héraclite sur l’homme ordinaire, cet idéal affiché par notre président ?

« Etant nés, ils veulent vivre et subir leur destin de mort, ou plutôt trouver le repos, et ils laissent après eux des enfants, destins de mort à naître ».
(Fragment 33).


Suivons à nouveau le commentaire de Marcel Conche :

« Leurs rêveries sont des rêveries de repos ; vitalement fatigués, ils ne songent qu’à trouver le repos dans la vie avant de le trouver dans la mort, eux pour qui vivre, c’est, comme font les bêtes qui mangent et dorment, recommencer ce qu’on a fait la veille, et dont la vie, n’étant que répétition, est une sorte de mort ...ils vivent en morts. Vouloir seulement vivre, c’est vouloir le repos de la mort, et laisser de pareils enfants après soi, c’est alors donner naissance à des générations de morts, et reproduire la vie, ce n’est que reproduire la mort ».

Je laisse au lecteur intéressé le soin de découvrir par lui même ce qu’est la vie vécue selon ses propres réflexions ... ou selon Héraclite. Mais je note la concordance quasi parfaite de ce texte avec la pensée de Freud pour qui la mort représentait également la résolution des tensions et la fin de la douleur et qui a adopté l’attitude d’Héraclite en soignant/stigmatisant le refus de la vie du névrosé (répétition, déni, non assomption de ses choix) et du changement (résistance et fuite).

Daniel

Dimanche 27 Septembre 2015
Serge Federbusch





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