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Two lovers


Un superbe film de James Gray



Two lovers
James Gray avait fait, en 1994, à l’âge de 25 ans, des débuts très prometteurs dans « Little Odessa » où il mettait en scène, sur un mode joyeux et tragique à la fois, les pérégrinations d’un tueur à gages du quartier new-yorkais de Brighton Beach, où s’est installée une communauté de juifs russes après la disparition de l’URSS et l’ouverture de ses frontières.

C’est en pétrissant le même terreau humain, et après deux autres films de qualité, que Gray nous livre une œuvre d’une intense subtilité : « Two lovers », réalisée paraît-il pour donner un rôle à son amie Gwyneth Paltrow. Si elle avait eu le seul mérite de susciter ce film, la sympathique Gwyneth aurait déjà droit à la reconnaissance des cinéphiles.

La trame est simple : deux éclopés de la vie se rencontrent sur le palier de leur immeuble. L’un, Leonard (Joaquin Phoenix), fut abandonné par sa promise car porteur d’une maladie rare. Il se retrouve, suicidaire, à trente ans passés, chez papa et maman. L’autre, Michelle, (Paltrow justement) cherche à fuir un père abusif qui a ruiné sa famille. Elle s’est réfugiée dans les bras d’un avocat marié qui l’a installée dans ce quartier de Brighton Beach dont il est lui-même issu.

Durant un bref moment, chacun pourrait s'appuyer sur l’autre pour échapper ensemble au piège, matériellement confortable mais moralement pénible, dans lequel ils sont tombés. Mais ils n’y parviendront pas, réussissant simplement à clarifier leur situation respective. Léonard oublie enfin la femme qui l’a jadis quitté et le rendait suicidaire. Il se résigne même à épouser une fille de bonne famille, saine de corps et d’esprit. Michelle semble mieux s’en sortir, parvenant à extraire son amant des rets de la vie conjugale. On doute toutefois qu’une idylle à la gestation si difficile et incertaine lui réserve beaucoup de repos ... Bref, pour chacun, un passage trop longtemps différé et chaotique à l’âge adulte, celui des compromis.

Davantage encore que dans sa narration, c’est dans la création patiente et même perfectionniste d’une ambiance faite de bruits, de musique, d’infimes détails dans les décors, qu’excelle Gray. C’est cette synthèse conduite avec maestria qui fait de son œuvre un grand film. Deux ou trois photos du grand rabbin des Loubavitch ici, un vieux Nikon là, le rapport complexe entre le quartier prolétaire où ils vivent et le Manhattan huppé et intellectuel (The City, disent-ils) qui, de temps en temps, leur prodigue ses luxes, les ambiances de métro : tout est savant et subtil.

Mais rien n’est gratuit ou artificiel. Car la dimension sociale de son propos est également intéressante. On y décèle l’effet puissant de l’exogamie, quand Paltrow, toute de blondeur wasp, fait une intrusion accidentelle dans l’univers Yiddich des parents de Léonard, chavirant immédiatement ce dernier mais inquiétant non moins immédiatement sa mère. On y voit des petits-bourgeois effleurés par les grâces de l’art et de la culture dont se repaissent leurs homologues de la grande bourgeoisie, à quelques kilomètres de là. Ces métissages n’iront pas à leur terme, mais ils sont déjà à l’œuvre. Il était plus d’une fois en Amérique …

Inutile d’en rajouter en disant que les acteurs sont excellents, vous l’avez compris. La seule très légère faiblesse du film, mais c’est aussi une force, tient à ce que Gray a de l’empathie pour ses personnages et que cela se sent. S’il poursuit dans la voie qu’il s’est ouverte dans « Two lovers » et parvient lui aussi à prendre de la distance avec ses sentiments, Gray se placera à coup sûr au firmament du cinéma mondial. Il n’a pas encore quarante ans.


Dimanche 23 Novembre 2008
Serge Federbusch





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