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Bad lieutenant (Escale à la Nouvelle-Orléans)



Sans être accompagné d'un grand battage médiatique, Werner Herzog nous livre une oeuvre d'un symbolisme étrange et poétique, une vision onirique du monde entre vie, mort, bien et mal ; un film incroyablement radical et libre à cent coudées au dessus de la production du moment.



Bad lieutenant (Escale à la Nouvelle-Orléans)
Pas mal d'années s'écouleront sans doute avant que ce "Bad Lieutenant" ne soit perçu pour ce qu'il est : le chef d'oeuvre d'un Werner Herzog au sommet de son art, entièrement libre des préjugés, du cinématographiquement correct, de la vraisemblance, des exigences rigides de l'écriture, des contingences du "réel" et du souci de plaire. Herzog se moque de tout cela. Son âge et son expérience lui donnent les coudées franches, il va droit à l'essentiel et nous laisse scotchés à nos fauteuils.

En scène : un pauvre gosse qui a perdu trop tôt sa mère, dont le père est à la fois une autorité morale parce que flic respecté mais aussi un anti-modèle qui a sombré dans l'alcool. Devenu lui-même policier, ce vilain garçon et mauvais lieutenant fait des va et vient continuels entre bien et mal ; il ne sait pas aller jusqu'au bout de l'un ou de l'autre et perd souvent sur les deux tableaux, se retrouvant par exemple accablé d'insupportables lombalgies pour avoir voulu sauver la vie d'un prisonnier après lui avoir fait sadiquement croire qu'il le laisserait se noyer. Le voilà s'enfonçant peu à peu dans l'usage intense de tous les psychotropes circulant sur le marché, ne reculant devant aucun moyen pour se les procurer, mac d'une chica latina en deshérence, compagnon de route des malfrats et des bookmakers.

On retrouve les thèmes du Bad lieutenant de Ferrara (1992), film marquant déjà, mais, très vite, Herzog s'élève encore au-dessus de ce qu'il ne reconnaît d'ailleurs pas comme une référence. Car la Nouvelle-Orléans, frappée par le cyclone Katryna, bain-marie où bouillent la déchéance, la mort et l'érotisme, permet aux esprits vaudous de prendre possession du film. Peu à peu, les hallucinations de la drogue et les angoisses de Nicolas Cage, interprète parfait, se mêlent à la réalité et, finalement, on ne sait si sa demi-rédemption est fantasmée ou réelle, ces deux mots n'ayant plus guère de sens.

Herzog nous livre un film animiste, où les reptiles et les sauriens ont leur propre vision des choses, un film politique au message extrêmement corrosif et non-conformiste, n'hésitant pas à accuser les vieux infirmes soignés dans des maisons de retraite de luxe d'être les boulets de l'Amérique ou le système Obama de s'accommoder fort bien de la production de came qui fait vivre également les Talibans. Son tableau de l'Amérique en déréliction fera date. Herzog n'a peur de rien, comme son Bad Lieutenant. Il nous fait rire parfois à gorge déployée, il est fou, il s'en fout et nous nous sentons petits et admiratifs devant un talent pareil et un homme à ce point libéré des préjugés. "Qui donc est avec moi ?" se demandait Aguirre, une de ses créatures mythiques, avant de sombrer dans la solitude et la mort. "Ceux que je croise et c'est suffisant", répond aujourd'hui le Herzog de la maturité. Chapeau l'artiste !

A voir et plus tard revoir absolument.

Samedi 20 Mars 2010
Serge Federbusch





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