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Les 700 siècles (2)


Chapitre 2

Où les choses s’accélèrent franchement et où je fais quelques galipettes



Les 700 siècles  (2)
Alors voilà, j’ai gambergé sans vous et je me suis dit que les Francs-maçons, ce n’était pas une bonne idée. Il y a eu des tas de livres sur ces gars-là et ça ne marche jamais très fort, soit parce qu’ils arrivent à les tuer dans l’œuf puisqu’ils n’aiment pas la pub, soit parce qu’au fond ils n’intéressent qu’eux-mêmes.

Avec leur culte de la raison, ils sont trop consensuels et il n’y a que leurs attirails bizarroïdes, leurs tabliers et leurs équerres, pour les rendre exotiques. Ils s’échangent des services et tout ce qu’on peut souhaiter c’est que ça ne se fasse pas au détriment des autres, ce qui n’est pas gagné. Et puis il faut la fermer dans les loges pendant un ou deux ans avant de s’exprimer : c’est beaucoup trop long pour un bavard comme moi.

En revanche, comme on dit pour éviter « par contre », je me suis convaincu, en discutant sur l’oreiller avec Caroline, une de mes intermittentes du sexe, une fliquette qui bat des ailes dans le poulailler de la place Beauvau, que les sectes, c’est un sujet qui n’est pas assez travaillé par les écrivains et les cinéastes. Ils en ont peur. Depuis l’histoire de Sharon Tate, Polanski et Manson, personne n’a envie de se retrouver l’intestin à l’air libre pour avoir été pris au sérieux par quelque fêlé. J’ai donc demandé à ma poulette, qui porte le titre de commissaire principal tout de même, de me donner deux ou trois noms de rassemblement de cinglés où faire de l’entrisme sans trop de difficultés et où je pourrais rassembler quelques scènes cocasses à mettre dans un bouquin.

La première où je me suis pointé, était une sorte d’église composée à 90 % de blacks - comme disent les racistes sans le savoir - des Antilles, qui occupe un petit bâtiment au fin fond du 20ème arrondissement, près de la porte de Bagnolet. Rudimentaire mais propre. Qui est propre n’est jamais pauvre, devrait-on enseigner aux fauchés. Et, comme le cosmos est un immense équilibre, qui est crasseux n’est jamais riche.

Ces cocos là adoraient Jésus avec un soupçon d’originalité. Il leur apparaissait à travers un bouc de deux mille ans d’âge qui leur venait en droite ligne des temps bibliques, véridique ! L’animal menait une existence paisible dans une sorte de grotte creusée sous l’autel à l’insu des services vétérinaires. La vision de cette bête avait un pouvoir érotisant qui renvoyait ces drôles de paroissiens à des pratiques bachiques, auxquelles je ne fus convié qu’après trois mois de génuflexions et de tremblements simulés. Il me fallut monter une énorme dondon entre les cuisses de laquelle je ne sentais rien. C’était comme une anesthésie pénienne, une disparition mystérieuse de mon entre-jambes. J’étais obligé de fermer les yeux et d’imaginer que je lutinais autre chose. En contrepartie, j’avais droit à la spécialité maison : un doigt bien placé dans le fondement pour un massage de la prostate, condition sine qua non, selon cette sainte chapelle, pour éviter de mourir d’un cancer, sort promis à l’intégralité de l’espèce humaine masculine à l’échéance 2014 s’il fallait croire leurs prédictions. Je ne devrais pas l’avouer dans une œuvre à prétention littéraire, mais j’ai quelques troubles hémorroïdaux et cette pratique m’inquiétait. Et puis je perdais mon temps pendant la catéchèse et mon livre n’avançait pas : leur pasteur n’avait pas grand-chose à dire.

Si ce n’est, qu’à Pâques, il égorgeait un autre bouc devant son congénère déifié et traçait de son sang des signes de croix sur le front de ses adeptes, ce qui les plongeait dans une transe libératrice. Ils récitaient toujours les mêmes versets des textes sacrés. Un jour, un malabar, ami de la dondon, voulu m’introduire autre chose que le doigt et je décidai de prendre la tangente. Mourir le cul vierge, telle est ma seule ambition dans la vie. De ce point de vue, la secte du toucher rectal manquait de tact.

D’un naturel anxieux, je commençai à redouter de faire chou blanc après l’échec de ma seconde tentative. Chez ces autres barjots, on se préoccupait de chakras, des zones chargées en énergie et qui forment comme une colonne vertébrale spirituelle bien connue depuis quelques années des lecteurs de presse féminine. Là-aussi, la sexualité rôdait comme une guêpe. La prêtresse était une brunette qui, encore lycéenne, avait fait une honorable carrière de prostituée avant de tomber amoureuse d’un camé qui l’avait embarquée pour les Indes.

Le gars était mort d’overdose ou bien avait été buté par d’autres dealers à qui il refusait de régler une ardoise. L’explication variait selon les confessions enfumées de ses adeptes. Elle était revenue de Bénarès dotée d’un vague baragouin mystique qui lui avait permis d’éviter les lampadaires et les asperges. De Bénarès à Barbès, notez-le bien, il n’y a guère que trois consonnes de distance. Comme elle s’y connaissait en technique ( prononcez téchenique ) amoureuse, elle put louer un rez-de-chaussée puis, le succès venant, un garage reconverti du côté de Levallois. Elle attirait des malingres, des mal-conformés, des bigleux, qui revêtaient des sortes de combinaison blanches comme s'ils devaient travailler dans une centrale atomique, prenaient des cours de fellation, s’enduisaient d’huiles de toutes sortes et se faisaient passer des plumeaux sur le corps pour dissiper leurs mauvais penchants.

L’idée était, qu’en se décontractant bien, on voyait soudain apparaître des disques rayonnants qui chassaient l’angoisse. On s’éveillait à je ne sais trop quoi et l’on était tout chose, tout relax, au milieu des vapeurs d’encens et des airs de sitars. Pour asservir l’homme moderne, rien ne vaut la psychologie, vous ne trouvez pas ? Çà donne de bonnes raisons de se croire intéressant et d’accepter l’idée que, puisque les problèmes viennent de nous, les solutions aussi. Qu’est-ce qu’il ne faut pas inventer pour culpabiliser le populo !

En tout cas, la brunette était intuitive. Elle devait se douter de quelque chose et me questionnait sans cesse sur le boulot de documentaliste que j’étais censé occuper dans un ministère. Quelle administration, me demandait-elle après chaque séance ? L’agriculture. Où ça exactement ? Au ministère de l’agriculture, 78 rue de Varenne 75349 Paris 07 SD, avais-je lu sur les pages jaunes de l’annuaire téléphonique, celles qui trois fois sur quatre vous donnent des renseignements erronés ou inutiles. Et en quoi ça consistait ce job ? Chargé de la veille sur les législations américaines en matière agricole. C’était le premier truc qui m’était passé par la tête et je m’étais dit que ce n’était pas grave, qu’elle ne devait rien savoir sur le sujet. Putaincong, elle avait passé deux ans dans le middle-west avec papa et maman alors qu’elle était ado ! Elle raffolait des grands espaces, cette créature dépravée des villes. Elle regrettait de ne pas vivre à la frontière d’un désert, où il ferait beau et sec, où les gens seraient aussi sains qu’on peut l’être quand on s’est habitué à la solitude et qu’on n’attend plus grand-chose des autres.

Heureusement, j’avais fait de brillantes études juridiques (mention assez bien au Deug) et Corinne, ainsi se prénommait la brunette, cherchait des conseils pour échapper aux vigilances fiscales et préfectorales que ses activités semi-crapuleuses lui valaient. Je parvins tant bien que mal à soutenir une conversation sur ces sujets.

Elle espérait aussi un piston en se disant que, si je n’arrivais pas à lui en fournir le début de la queue d’un, c’était la preuve que je ne lui servirais à rien. Je fis donc intervenir ma copine de la maison « Bourreman » en lui expliquant que, si j’étais dans cette merde, c’était un peu à cause d’elle. Soudain, ma commissaire trouva l’affaire moins drôle mais elle se débrouilla pour que Corinne reçoive une visite de la Mondaine ou ce qui en tient désormais lieu. Il lui fut expliqué qu’elle devait se tenir à carreau, pour cette fois.

Ma cote monta en flèche et j’eus droit à une séance mémorable où rien de l’homme que j’étais ne resta étranger à cette humaniste. Aucun orgasme n’est identique à un autre et, pourtant, tous se confondent très vite dans notre mémoire, comme la dégustation des têtes de veau. Elle ne me refusait rien, je dirais même qu’elle anticipait tout et j’activais l’intégralité de mes chakras d’un seul coup. Mais, si mon plaisir fut grand, ma satisfaction fut de courte durée. Cherchant à me joindre au ministère, elle fit dans les jours qui suivirent ce qu’elle aurait dû entreprendre depuis longtemps : elle téléphona à droite et à gauche ce qui conduit inévitablement au centre. Aucun bureau, aucune direction n’avait jamais entendu parler de moi.

Je ne sais pas comment elle s’y prit mais elle découvrit que j’étais auteur dramatique pour la télévision - un noble métier pourtant - et ancien producteur de sitcoms. Je fus mis à la porte au cri de « pauvre con » ! Notre société n’a plus la moindre idée de ce qu’est le talent.

Je dus me trouver tout seul un autre port d’attache car, place Beauvau, je finissais par irriter. C’est grâce à la lecture d’un reportage de « 30 millions d’amis » trouvé dans une poubelle que je crus dégotter mon bonheur. Cachée dans la rassurante dissimulation d’une société de défense des oiseaux des villes, cette secte de troisième tentative vous obligeait à passer tous vos week-ends à nourrir les pigeons, recueillir les moineaux, soigner les étourneaux, aduler les crécelles. On se réunissait à n’en plus finir pour s’extasier devant des perdreaux de l’année. J’étais particulièrement en charge d’une sorte de bergeronnette qui était tombée d’épuisement ne trouvant pas la sortie d’un hypermarché où elle s’était égarée.

Cette confrérie était en réalité une couverture pour un politicien breton qui recrutait ainsi, au moment de ses campagnes électorales, des candidats pour peupler ses listes et des bras pour coller ses affiches et distribuer ses tracts. Il avait soi-disant fait fortune dans la vente d’automobiles dans le grand Ouest et, saisi soudain d’un remords écologiste, s’était pris de compassion pour la gent volatile. Il dépensait des milles, des cents et des cent milles dans ses entreprises politiques sans jamais dépasser le score de 1,4 % des suffrages exprimés.

Et, pourtant, il recommençait et recommençait encore, sans qu’on comprenne quelle satisfaction narcissique ou matérielle il y trouvait. Blanchissait-il du pognon ? Ce fut ma première piste mais, quand je vis les factures de ses bulletins de vote et circulaires de propagande, il fut évident que tout était fait à l’économie et intégralement réglé sur sa cassette personnelle. Alors, juste un mégalo ? Là comme ailleurs, il fallait dire ce que le chef voulait entendre pour progresser dans la hiérarchie. Pour ne pas attirer l’attention, je me déclarai instituteur en congé de longue durée pour dépression nerveuse - une situation banale.

J’expliquai que mes parents avaient été éleveurs en Picardie et qu’ils m’avaient forcé, toute mon enfance, à tuer sauvagement les loirs endormis dans des boîtes à chaussures, à faire saigner les taupes hémophiles en répandant des tessons de bouteille dans leurs trous, à écraser les faisans sur les routes de campagne en donnant un coup sournois sur la pédale d’accélérateur du tracteur. J’étais traumatisé et c’est pour cela que je les rejoignais.

Toute cette dissimulation était en réalité inutile, le chef de bande se fichant pas mal de ses ouailles et ne cherchant que des petites mains à exploiter. Des élections cantonales arrivèrent et, comme elles se déroulaient en hiver, je passai un temps infernal et glaçant à découvrir la ruralité en Seine et Marne, là où on m’avait assigné une mission. Je dus rendre visite à la moitié des dernières fermes du département. Les quelques péquenots que le monde moderne avaient laissé en vie excellaient à nous sourire pour nous signifier qu’ils se foutaient pas mal de nos balivernes. Mon ignorance de la chose agricole parut vite étrange et je dus arguer d’une aggravation de ma dépression pour prendre un peu de distance.

Au début, le maître m’avait gratifié du qualificatif de « belle personne », qu’il utilisait pour flatter sa soldatesque. Mais mon impuissance à attirer le soutien de la moindre association me valut rapidement son indifférence. On me consigna à des tâches subalternes : ouverture du courrier, réponse à des questionnaires envoyés par des chambres de commerce où personne ne voterait jamais pour nous. Les temps étaient durs dans la France désindustrialisée, les gens pensaient à sauver leur picaillon et la cause animale ne faisait plus recette.

Je dus accomplir ma besogne en compagnie d’un pauvre hère qui se plaignait d’avoir été endoctriné dans divers mouvements religieux. Il avait subi, révélait-il le teint hâve et l’œil vitreux, des actes d’exorcisme et avait dû lutter contre un démon qui avait tué sa famille dans des circonstances particulièrement douloureuses.

Tout cela parce qu’il refusait d’être homosexuel et qu’il n’avait plus de ressources financières pour payer Satan. Il avait réuni quatre mille documents dans deux valises qu’il m’apporta un jour en me demandant de les garder chez moi. Il était armé. Quand je signalai les faits au leader sans dissimuler quelques craintes pour ma sécurité, il mio piccolo duce me dit de continuer comme si de rien n’était. Un jour, le chabraque se jeta à mes pieds pour me dire qu’il ne pouvait me dire qu’il m’aimait. Tout allait vraiment de mal en pis, si ce n’est qu’une vendeuse de chez Darty, embarquée dans la même aventure, décida que je présentais un intérêt au moins égal à celui d’une pintade ou d’un coucou. Ce fut un intermède agréable dont je ne vous parlerai pas car il est hors de question de laisser ce texte dévier vers le porno.

Cette triple expérience n’était pas concluante, je pense qu’aucun d’entre vous n’osera prétendre le contraire. Mais elle suffisait à écrire un chapitre, ce que j’achève de faire à l’instant. J’entrepris aussitôt de chercher à infiltrer une quatrième secte. Ce fut la bonne, comme ceux qui me liront la semaine prochaine le découvriront.


Dimanche 8 Mai 2011
Serge Federbusch





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