Connectez-vous
DELANOPOLIS
Revenir à l'accueil | Envoyer à un ami | Version imprimable | Augmenter la taille du texte | Diminuer la taille du texte | Partager

Les 700 siècles (6) - La suite de notre incroyable nouvelle : un auteur en danger !




Chapitre 6

Dernières révélations sur Gabriel de Fombeur



Les 700 siècles (6) - La suite de notre incroyable nouvelle : un auteur en danger !
En réalité, c’était bel et bien la trouille qui m’avait fait m’évanouir : je n’avais rien ingéré du bouillon de Merlin. Cela m’avait protégé, pensais-je, car, du fait de cette escapade passagère de ma conscience, mon gourou et son homme de main n’avaient pu me circonvenir.

Je ne m’étais jamais pâmé de ma vie et j’eus du mal à comprendre ce qui m’était arrivé. Ma seule expérience dans le domaine remonte à un jour lointain où je me trouvais à Tokyo pour tenter de vendre un projet de série télévisée à un producteur local, une mission impossible. Alors que j’étais dans un ascenseur à attendre benoîtement d’arriver à l’étage, tout était devenu soudainement noir autour de moi et j’étais tombé. J’avais cru à un évanouissement précisément parce que je ne savais pas en quoi cela consistait. En réalité, un tremblement de terre avait secoué l’immeuble dans lequel je me trouvais.

Bref, je sortis de ma moiteur mentale pour aussitôt retrouver en gros plan les affreux visages de Fombeur et Merlin qui souriaient.

- Nous revoilà donc ! » dit Gabriel.

Merlin faisait une moue méprisante, on aurait juré qu’il s’apprêtait à m’envoyer un de ces petits crachats sifflotant comme en produisent les gens de mauvaise tenue. Les autres disciples de Fombeur avaient disparu.

- Bien, Michel, maintenant tu vas calmement m’écouter et il vaut mieux pour toi que tu n’oublies rien de ce que je vais te dire. Ta petite amie des services de police, tu crois bien la connaître ?

Je pris un air interrogatif car cela me permettait d’embrayer sur à peu près n’importe quelle attitude en fonction de ce qu’il allait me dire.

- Regarde ces photos.

Il me tendit des clichés en noir et blanc où l’on voyait ma fliquette de Beauvau en compagnie de Jacques Lemercier, s’adonnant à quelques privautés à la terrasse d’un café.

- Cela doit te surprendre, non ? Il faut dire qu’elle a le mérite de ne pas cracher sur les vieux pour parvenir à ses fins.

Je haussai les épaules, autre moyen classique de ne pas répondre. Mais, franchement, j’en serais tombé derechef sur le cul sans avoir même besoin de m’évanouir !

- Hé oui doux ingénu, ton héroïne de la protection des biens et des personnes n’a qu’une idée en tête depuis des mois : se servir de toi pour l’aider à localiser le kriss et en devenir l’illégitime propriétaire. Elle avait directement travaillé Jacques au corps mais elle n’a pas dû bien s’y prendre. Etonnant, n’est-ce pas ? Il faut toujours se méfier des policiers cultivés, ou bien ce sont des créatures de romans ou bien ce sont des escrocs.

Merlin partit d’un rire artificiel pendant que Fombeur poursuivit son soliloque.

- Alors, dis-moi, que comptes-tu faire maintenant que ton monde en blanc et en noir et blanc est devenu sépia ?

Là, il fallait forcément que je réponde.

- Franchement, que ce soit elle, toi ou quiconque d’autre qui s’empare de ce poignard, je m’en moque complètement, je veux sortir de ce guêpier depuis longtemps, j’imagine que de cela aussi tu es au courant.

Fombeur fit une moue désapprobatrice.

- S’il y a une seule chose qui soit sûre, mon cher inconscient, c’est que tu ne t’en tireras pas à si bon compte. Il va falloir que tu choisisses ton camp et ce sera assez facile puisque tu ne peux retourner vers elle.

L’expression de mon visage dut lui causer quelque incertitude car il décida de me donner de plus amples informations.

- Ta petite amie, je la connais depuis longtemps. Elle a passé dix ans dans le service de répression du trafic d’œuvres d’art. Tu ignores qu’elle a fait l’Ecole du Louvre, payée par le ministère de l’intérieur au titre de la formation professionnelle : on n’arrête pas le progrès. Elle a contracté la collectionnite, la pauvre, un envoûtement dont n’est brièvement soulagé par la possession que pour aussitôt replonger dans le désir d’un autre objet. Et puis elle aime l’argent, ce qui est beaucoup plus commun. Bref, elle veut le kriss de Solo pour elle, rien que ça. La connaissant, elle finirait par le vendre pour s’acheter une maison à Lombok ou Sumbawa et même peut-être à Bali, ce repaire de ploucs, pouah ! Moi j’aime vraiment l’Art Michel, tu t’en es rendu compte et ce poignard me revient donc de droit.

- C’est de la jalousie ? » hasardais-je en regrettant aussitôt mon ironie. Mais il le prit en ricanant.

- Inutile de ruser pour me faire parler. Te croirais-tu dans un James Bond en train de discuter avec le chef du Spectre et de lui tirer les vers du nez ?

Soudain, Merlin entra dans la conversation.

- La grande ambition ratée de ma vie aurait été d’incarner James Bond. Rouler dans la poussière en smocking et me relever sans une trace.

Les deux malfrats rirent stupidement.

Fombeur : - Ah ! Le chef du Spectre et ses fabuleuses répliques : - la différence entre le génie et la folie c’est le succès ; - N’oubliez pas que vous n’êtes président … qu’à vie ! sussuré à un dictateur africain qui ne file pas droit !

Ils se réjouirent de plus fort sans doute pour me persuader que la situation ne les préoccupait aucunement. Cela eut pour effet paradoxal de me rassurer un peu : puisqu’ils savaient que j’étais en rapport avec la police, ils ne pouvaient espérer que ma disparition passât inaperçue.

Je décidais de prendre la direction de la conversation pour me donner un peu de contenance.

- De toutes les façons, puisque c’est toi qui a le kriss en mains, Gabriel, je ne vois pas où est le problème, tu peux partir, les frontières sont poreuses pour les hommes comme toi.

A ce moment, ma conscience m’abandonna une deuxième fois, pour une fraction de seconde seulement. Je réalisai aussitôt que je venais de recevoir une claque magistrale. Inutile de vous préciser que le coup avait été porté par cette ordure de Merlin. Il a de la chance d’être un personnage de fiction, celui-là, sinon je le buterais volontiers après lui avoir fait subir les pires tourments ! Enfin, il ne faut pas que je questionne trop sa réalité sinon je pourrais m’interroger sur la mienne …

- Ici, les questions c’est nous qui les posons ! Et ne tutoie pas le maître !

Merlin avait accompagné sa baffe de la sentence la plus éculée qui soit, qu’on retrouve dans à peu près tous les films policiers dans la bouche d’un faux dur, qu’il soit flic ou truand. Généralement, ce genre de mise en garde se termine par la mort du rouleur de mécaniques.

Fombeur, un peu gêné par cet accès de violence, tenta de reprendre le contrôle de la situation.

- Michel, la chose est simple : tu vas devoir convaincre ton amie de nous laisser tranquilles. Rassure-toi, ce n’est pas en lui faisant croire que tu cours un danger, elle se moque pas mal de ce qui peut t’arriver. Non, tu vas simplement lui dire que tu as signé un témoignage où tu racontes comment elle t’a manipulé pour récupérer le kriss à des fins personnelles. Et que tu es naturellement prêt à tout confirmer quand tu seras interrogé. Cela devrait suffire à la calmer, ta bonne amie.

- Et j’obtiens quoi en échange ?

- Rien, répondit Fombeur, le droit à l’oubli, à l’anonymat, le retour à ta vie antérieure, que tu méprises mais qui est le mieux qu’un individu comme toi puisse espérer.

- Pas mal comme deal, non ? ajouta Merlin avec toujours le même sourire de pendu aux lèvres.

- J’accepte, dis-je sans ambages, d’une manière tellement assurée que Fombeur et Merlin y virent moins une capitulation qu’une manifestation de confiance en moi. Pour une fois, j’avais bien joué : je cédais à leur chantage tout en passant pour déterminé, c'est-à-dire que je remplissais deux critères en apparence contradictoires mais qui, chacun, pouvait me permettre de sortir sans trop de dégâts de ce merdier.

- Je ne lui dois rien, complétai-je en haussant les épaules. Elle n’avait qu’à pas chercher à me rouler.

- Et bien tu es un garçon raisonnable et doté d’un bon sens commun ! Je vais finir par regretter de ne pas t’emmener avec nous à Sumatra.

Fombeur n’en pensait pas un mot mais il était encourageant de l’entendre revenir à un registre de flatterie et de politesse.

- Tiens !

Merlin me tendit mon téléphone portable. Il me l’avait pris durant mon évanouissement.

- Tu n’as plus qu’à appuyer sur le bouton vert et ton amie saura à quoi s’en tenir.

Je le fis sans trop hésiter.

- Allo, Michel ?

La voix de ma petite policière dénotait indubitablement de l’inquiétude.

- Comment vas-tu, où es-tu ?

- Couci-couça. Tu sais Caroline, les choses ne tournent pas exactement comme tu l’imaginais. Je suis avec nos amis amateurs d’art asiatique et ils me montrent des photos te concernant et m’expliquent des tas de choses désagréables à ton sujet. Paraît-il que tu aimes beaucoup, toi aussi, les kriss indonésiens …

Elle répondit calmement.

- Je vois. S’ils en sont là, c’est qu’ils savent que c’est cuit pour eux. Inventer des romans et te faire craquer, ils se doutent bien qu’il n’y a qu’une chance sur cent que ça marche. Tu peux donc leur dire la chose suivante : dans quelques minutes les flics seront chez vous et vos explications ne vont pas leur paraître très convaincantes.

A ce moment, je reçus un nouveau coup sur le crâne et Merlin s’empara du téléphone.

Fombeur le récupéra.

- Allo ma chère, je vais bien, tout comme vous, dit-il ironiquement sans même lui laisser le temps de parler.

- Vous perdez votre temps à essayer de convaincre ce pauvre garçon (là, il s’agissait de moi, je le dis à ceux qui ne l’auraient pas compris). Il n’a pas besoin d’avouer quoi que ce soit, toutes nos conversations à la Maison sont enregistrées. Bon … en tout cas, votre seule option c’est de nous laisser tranquilles et d’oublier ce poignard, son fourreau et cette ridicule histoire. Si vous voulez vraiment nous envoyer vos collègues, tranquillisez-vous, nous ne bougeons pas et les attendons de pied ferme. Voilà, je raccroche.

C’est ce qu’il fit.

Il me regarda alors fixement.

- Et bien Michel, pour toi les choses sont très simples. Nous allons attendre tranquillement un petit quart d’heure. Si la police arrive, c’est qu’elle disait vrai et tu seras sauvé. Si personne ne vient à ton secours, il va falloir que tu restes enfermé quelques jours dans un nid douillet où nous t’installerons, le temps que nous soyons loin d’ici. Après ça, tu n’entendras plus parler de moi. Tu vois, dans les deux cas tu t’en sors bien mais à chaque fois à la même condition : que tu te tiennes à carreau et ne nous fasses aucun ennui.

- Ce n’est pas une mauvaise solution, il faut l’avouer, répliquai-je en m’efforçant de maintenir un ton distancié.

Effectivement, plus d’un quart d’heure après les flics n’étaient pas là. Fombeur et Merlin vaquaient sans avoir l’air de se soucier le moins du monde de tout ce qui s’était produit. Je me sentais affreusement nauséeux.

Il revint vers moi.

- Alors Michel, j’espère que tu es soulagé ?

- A peu près, répondis-je, tentant de cacher mon malaise. Puis-je te euh … vous poser une question ?

Il opina mollement.

- A quoi bon posséder ce poignard et faire tous ces efforts, tout solder à Paris, partir à Sumatra. Je n’imagine pas que la vente du kriss puisse rapporter autant que ce que tout cela vous coûtera. Et puis, manifestement, Lemercier est tellement envoûté qu’il vous l’aurait donné sans tout ce cirque.

Fombeur sourit.

- Mais, mon pauvre Michel, homme de peu de foi, tu n’as donc rien compris ?

- Comment ça ?

- Les Hiboux existent ! Toba existe ! Il nous faut absolument nous y installer, retrouver l’âme du volcan, parler à ses rives, sentir la force de l’explosion quand elle surviendra. C’est comme cela que nous retrouverons les chaînons manquants, les principes qui nous font défaut et qui redonneront la paix et la quiétude à ce pauvre animal perdu et dénaturé qu’est l’homme. Je suis un prophète Michel, pas un affairiste. Je suis l’ange de la nuit, celui que vous nommez …

Comme ma physionomie devait incarner quelque chose proche du scepticisme absolu, il s’interrompit brutalement. Voilà qu'il se prenait réellement pour Belzébuth !

- Tu me déçois un peu mon ami. Tu ne sais même pas qui tu es. As-tu réfléchi à ton prénom, Michel, celui de l’ange de lumière. Ta vie corporelle est si brève, il faut avoir si peu d’imagination pour croire aux satisfactions matérielles. La vie est une vitrine trompeuse, Michel, vous croyez pouvoir contempler le monde sans vous faire mal, sans souffrir, mais jamais bien longtemps. Chaque seconde est pour vous une remise en cause, chaque instant peut être une torture, vous êtes toujours au bord du précipice, Michel, toujours prêt de la chute, de la faillite de votre âme, c’est la seule déchéance qu’il vous faut craindre car elle est à tout instant proche de vous.

Hélas, l’envie de rire monta soudain en moi et je m’esclaffais. Fombeur me regarda fixement.

- Parle ! ordonna-t-il.

- Ce doit être ça, la dépression chronique …

Je me mordis les lèvres aussitôt. Par quelle espèce de malédiction avais-je cédé une fois de plus à ce penchant stupide pour l’ironie qui m’avait valu tant de déboires dans mon existence ?!

Merlin, qui n’avait rien perdu de l’échange, approcha, menaçant, en sortant un couteau, avec l’intention évidente de me frapper à nouveau. Fombeur arrêta son geste.

- Tu sais Michel, je ne suis rien que tu puisses vraiment comprendre, tu ne viens de rien et tu ne peux servir qu’à engraisser un jour le sol de ta carcasse. Tu aurais pu grandir ici, te libérer de ce besoin d’acquitter ton droit de vivre, comprendre que plus on le paye, plus son prix augmente. Mais tu as pas voulu te contenter de ruminer. Tu as voulu comprendre, Michel. Comprendre : les hommes pensent que cela vaut mieux que voir ou entendre et c’est pour cela que leur mort leur est si difficile. Auras-tu un point d’interrogation sur ta tombe ? C’est à Toba uniquement que tu pouvais comprendre et le reste importait peu, toutes les polices du monde importaient peu.

Comme je me tenais désormais coi, Fombeur reprit.

- Sais-tu pourquoi tu es sans talent, Michel ? Tu ne sais pas exprimer la façon simple dont tu ressens les choses. Il te faut tout ourler, tout compliquer. Si tu parviens à être simple, alors tu parviens à être unique. Tu es comme un enfant nerveux dans un bac à sable, Michel. Ton propre nom t’a été donné par d’autres et tu ne sais pas retrouver qui tu es. Tu tournes autour de ton nom comme un oiseau perdu.

Je jugeai, à cet instant, qu’il valait mieux lui donner raison et sortir de ce réquisitoire délirant qui risquait de les rendre de plus en plus agressifs à mon égard.

- Vous savez Gabriel, jrepris-je en le voussoyant de nouveau, e n’ai pas autant d’ambition que vous croyez. Il faut commencer jeune et j’ai loupé les premières marches du succès. Après cela, le saut est trop haut, trop difficile. Je veux juste vivoter au soleil. Il n’y a rien de mieux à faire sur terre, à mon humble avis, que de profiter du soleil.

A ce moment, Fombeur parut se détendre.

- Tu es extraordinaire Michel ! Mais que crois-tu qu’ambitionnent les Hiboux si ce n’est de remplacer la nuit par le jour, l’obscurité par le soleil, là où le soleil ne peut plus jamais briller, dans cette peur enfouie au plus profond de nous et qu’il nous faut abolir ?

Décidément, plus je parlais, plus la confusion de la situation grandissait.

C’est dans cet état de totale angoisse et de perplexité que j’accueillis la brutale intrusion des forces de l’ordre dans la "Maison" !




Dimanche 10 Juillet 2011
Serge Federbusch





Nouveau commentaire :

Editos | Les Dernières Nouvelles de Delanopolis | Brèves de trottoir | Ségo Bashing | PariBao - le Dazibao de Paris | Delanopolis hors les murs | Delanopolis Street Art | Gastropolis | Le Delanopolis littéraire | Jouez au Delanopolis | Chroniques Jupitériennes