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Le dernier homme à mourir ( ou : la grande nouvelle)



Vous voilà en 2067. Cela fait trois ans déjà que la Haute Autorité Planétaire de Santé a rendu publique la grande nouvelle : l'autorisation sans limite de la régénération cellulo-nucléaire qui permet enfin aux hominidés de partager le destin de certaines méduses, s'auto-reproduire pour ne plus mourir, au sens ancien du terme.

Un seul homme se désespère, dans sa chiche retraite du sud marocain : un dénommé Federbusch, qui doit fêter son 107ème anniversaire. Car, les médecins sont formels, pour ce vieillard cacochyme il est trop tard, la régénération ne fonctionnera pas.

Il sera le dernier homme à mourir ...



Le dernier homme à mourir ( ou : la grande nouvelle)
La première alerte, après les mises en garde romanesques de Philip K. Dick, remontait à l'an 2010 lorsque Craig Venter, un biologiste doté d'un sens solide des affaires, avait annoncé la synthèse artificielle du génome de la bactérie Mycoplasma mycoides. Transféré dans une autre bactérie, Mycoplasma capricolum (ou mycoplasme de la chèvre), elle-même auparavant débarrassée de son propre génome, elle obéissait au programme qu'on lui assignait et se prêtait à toutes les manipulations.

Malgré les annonces tonitruantes de Venter, les applications de cette découverte furent réduites. Ses tentatives pour créer des algues gorgées de pétrole, des pigeons fientant du plutonium, du riz destructeur de cellules cancéreuses, etc. furent autant d'échecs. Venter fit faillite et se suicida en 2021. On l'enterra à la sauvette. Il avait passé les dernières années de sa vie à clamer que l'interdiction qui lui était faite de reprogrammer le génome humain était absurde, que celui-ci était des plus aisés à synthétiser et que les bénéfices thérapeutiques de sa découverte seraient immenses et immédiats.

Mais vint, en 2030, la crise de l'église catholique qui suivit la mort du pape Jean-Paul III. Désertée par ses fidèles, ruinée par les placements financiers aventureux de son secrétaire d'Etat, la religion apostolique et romaine se choisit pour chef John Wisley, archevêque de Boston, qui se faisait fort de réconcilier les riches évangélistes américains et la vieille boutique des bords du Tibre. Le concile Vatican III, en 2033, lança l'unification chrétienne, à laquelle se rallièrent la plupart des évangélistes, la quasi-totalité des anglicans et une grande partie des orthodoxes, copieusement arrosés par les financiers de Wisley, alias Paul VII.

Six mois plus tard, l'encyclique Genus Hominum se livrait à une exercice de haute voltige théologique. En substance, disait-elle, la mort du Christ en croix, celle de l'Homme, épuisait à jamais le champ possible des peines, des douleurs et des dérélictions humaines. Tous les décès étaient contenus dans celui-là et c'est bien pour cela que la résurrection était advenue. L'expérience de la mort totale avait, dans un seul corps, celui de Jésus-Christ, rendu possible le salut de toutes les âmes et, dans ces conditions, l'hypothèse d'un corps dont la durée de vie était prolongée sans aucune limite ne contrevenait en rien à la morale chrétienne.

Ces circonlocutions avaient été vertement dénoncées par la plupart des théologiens, mais ils étaient protestants ou inaudibles. Les ordres monastiques aussi firent mine de se rebeller mais ils durent rapidement rentrer dans le rang sous peine d'excommunication.

L'infaillibilité de Paul VII fit merveille pour faire taire ces gens de peu de foi et conforter l'action des lobbyistes de Cortex-Genetics, l'association américaine des entreprises de biotech qui avaient relancé les travaux de Venter. L'état d'Alaska leva tous les interdits sur le génie chromosomique, bientôt suivi par la Louisiane, malgré les manifestations à n'en plus finir de groupuscules à qui la peur du risque et de l'inconnu faisait préférer un retour au passé. Ces rétrogrades subirent leur plus grande défaite quand, en 2034, la cour suprême, dans un arrêt "Guadagni v. Cortex-Genetics", autorisa les Etats fédérés qui le souhaitaient à libéraliser leur législation. En dépit des traités internationaux signés par l'Etat fédéral pour interdire la manipulation du génome humain, la volonté de Washington ne pouvait, jugea la Cour, empêcher un Etat fédéré, à la condition que sa population soit consultée par référendum, d'autoriser des recherches dont l'objectif est l'amélioration du bien-être des citoyens. Cet arrêt fut acquis à une voix de majorité et fut suivi, dans les 6 mois, de consultations populaires qui validèrent le choix du "débridage" de la recherche, selon le mot trouvé par les publicitaires missionnés par Cortex-Genetics.

Concentrant ses efforts sur cet immense sujet de recherche, l'industrie américaine, en crise depuis plus de vingt ans et désespérée de trouver de nouveaux débouchés, fit de spectaculaires progrès. En 2036, une start-up d'origine chilienne installée dans la banlieue de la Nouvelle-Orléans et comptant moins de 50 ingénieurs parvint à synthétiser, dans un génome humain modifié, l'ADN complet de Turritopsis nutricula, une méduse large de 5 millimètres mais capable de retourner à sa forme juvénile après avoir été sexuellement mature, grâce à un mécanisme cellulaire nommé transdifférenciation.

Le problème, sur lequel devait buter pendant encore vingt-trois ans l'industrie planétaire, était que le processus de synthèse permettant d'obtenir un génome auto-régénéré mais stable consommait une énergie colossale, équivalente à celle permettant d'éclairer une ville de 500.000 habitants. Durant cette triste période, de rares milliardaires fréquentèrent des cliniques huppées de Louisiane qui rechargeaient la nuit des sortes de piles de huit kilos que ces pauvres diables devaient trimballer avec eux grâce à un robot les accompagnant 24 heures sur 24. Comble de malheur, ces batteries ne supportaient pas l'altitude et il était donc formellement interdit à ces miséreux fortunés de se déplacer en avion ou même de vivre à plus de 1000 mètres au dessus du niveau de la mer. Et, au bout d'un moment, ces recharges faiblissaient et perdaient de leur efficacité.

Malgré tous ces désagréments, le record de longévité humaine fut battu à 17 reprises jusqu'au moment où, en 2059, Dimitri Petroff, propriétaire de la multinationale des casinos Petrov et quatrième fortune mondiale, décéda à l'âge de 137 ans, le 8 janvier 2060, dépassant de deux mois le magnat des supermarchés japonais, une femme portant le nom paradoxal de Mori Hitochi.

C'est alors que Globatom entra en scène. La plus grosse entreprise mondiale de production d'électricité annonça avoir racheté un brevet stupéfiant mis au point dans un laboratoire d'une université pakistanaise. Il permettait la miniaturisation de la fusion nucléaire dans une boîte grosse comme une clémentine. Le magazine Time consacra cette incroyable prouesse technique "découverte majeure du 21ème siècle".

Une campagne médiatique fut immédiatement lancée par Blue Planet, le parti progressiste mondial. Elle exigeait que Globatom cède au domaine public son formidable brevet. A la tête d'une large coalition, Blue planet remporta les élections législatives dans 7 pays d'affilée. Menacée de nationalisation planétaire, le siège de ses filiales saccagé à 19 reprises par des groupes autonomes, Globatom se soumit moyennant une royalty de 5 % du prix de vente de tout dispositif fabriqué par quelque concurrent que ce soit. L'Organisation mondiale de la santé et Blue planet obtinrent aussitôt le remboursement par la sécurité sociale de la LB pour "life battery", comme on appelait désormais l'impressionnante trouvaille. Nous étions en 2063.

En moins de trois ans, par un labeur planétaire acharné, la production de LB atteignit les 16 milliards d'unités et sa taille avait été réduite à un tube de rouge à lèvres. Partout, des cliniques improvisées implantaient en moins d'une demi-heure le mécanisme salvateur, entre l'appendice et le colon, une opération qui s'était révélée ultra-simple. Plus étonnant encore, on ne recensa aucun rejet de greffe.

L'énergie produite par les LB's (prononcer Ellebiz) suffisait à stabiliser le processus de régénération cellulaire par sécrétion d'hormones extraites de l'ADN synthétique. Tous les organes étaient stimulés au même moment et il n'y avait donc pas de risque de développement d'une anomalie anatomique. C'était comme une fontaine de jouvence intérieure.

Deux problèmes subsistaient toutefois. D'une part, le mécanisme, contrairement à ce qui se passait pour la méduse, ne pouvait qu'interrompre le vieillissement. Il ne permettait en aucune façon le rajeunissement. Mais, ma foi, mieux valait vivre vieux et impotent que mourir ! Ensuite, certains organismes beaucoup trop âgés et délabrés ne parvenaient pas à tirer parti de la régénération et on compta encore une dizaine de millions de décès entre le 1er janvier et le 1er juin 2067, situation tout à fait inacceptable à l'origine d'un vif mécontentement populaire.

Heureusement, depuis le 2 juin de cette même année, tous les humains étaient équipés et tous semblaient à même de vivre perpétuellement, la seule contrepartie en cours d'adoption par la voie législative universelle étant que les naissances se voyaient interdites jusqu'à nouvel ordre pour ne pas surcharger la planète. Mais, bientôt, l'exploitation des corps célestes permettrait de reprendre la dynamique d'extension de l'oekoumène, la chose était certaine.

Pendant ce temps, dans une clinique de la banlieue de Marrakech, un certain Federbusch, se morfondait sur un lit mal équipé. Dernier survivant de la fonction publique française, rejeté par sa famille du fait d'un caractère exécrable, il consumait son reliquat d'épargne et s'apprêtait à pousser son ultime soupir. Par quatre fois, la Ellebiz avait échoué à diffuser correctement l'hormone de régénération tant ses artères étaient molles et ses tissus délabrés. Le produit chimique se répandait dans les organes sans parvenir à franchir la barrière des membranes cellulaires. L'échec thérapeutique était définitif, total, irrémédiable.

Le docteur Youssef venait de le lui sussurer à l'oreille : son décès était une question de minutes. Federbusch renouvela son refus catégorique de voir ses derniers instants enregistrés pour être montrés au reste de l'humanité. Ainsi, pensait-il, la plus grande injustice de l'histoire ne s'accompagnerait pas de la pire obscénité. C'est donc à son insu qu'on le filma.

Il lui restait à peine assez de force pour penser au "Roi se meurt" de Ionesco, à ceux qui étaient partis avant lui, aux caresses du vent et à la douceur du soleil. Alors, il mourut, le jour précis de son 107ème anniversaire, le 5 juin 2067.

Ceci lui évita d'entendre la formidable déflagration des Ellebiz, explosant tous au même moment, 49 jours plus tard, du fait d'un bug informatique provoquant une réaction en chaîne planétaire. Après cela, le partage de la planète entre Turritopsis nutricula, dans les mers et Pyrrhocoris apterus (du grec πύρρος(ο), « rouge » et κόρις, « punaise »), insecte très résistant vulgairement appelé "gendarme", sur terre, put commencer.

Cette cohabitation dura un nombre d'années inconnu.




Mercredi 26 Mai 2010
Serge Federbusch






1.Posté par christian15e le 31/05/2010 11:11
Bravo ! il ne reste plus que le roman à écrire....

2.Posté par Hip hip hip le 31/05/2010 14:24
Vraiment très bon, vous devriez faire ça tout le temps mais il est vrai que résister à la tentation de dénoncer l'infâme maire de Paris et sa politique putride de foutage de gueule ça doit être difficile. Bravo à vous.

3.Posté par Lise le 31/05/2010 14:28

Bien vu monsieur Federbuch mais vous devriez vous méfier des plagiaires et des gens qui recherchent des scénarios, Internet c'est la plus grande machine à voler les idées qui soit.

4.Posté par Roland Daubrégas le 31/05/2010 21:27
Faites en des plus longs, ça nous passera le temps dans les embouteillages de M. le maire de Paris.

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